Je fus conduit en esprit sur un lieu élevé au-dessus de la mer, et mon ange gardien se tenait à mon côté. Et, de ce lieu, je voyais à mes pieds la mer toute rouge, et soulevée par une affreuse tempête.
Mon ange me dit : cette mer est celle du sang de Jésus qui crie vengeance contre le ciel.
- Je regardai, et la mer se soulevait tout entière formée de vagues entassées comme des monts, et le sommet des vagues se déchirait formant un million de glaives vermeils dressés vers le ciel et éblouissants comme des éclairs.
Et lorsque les flots s'étaient ainsi soulevés, ils retombaient comme une masse avec fracas, et la terre tremblait comme si elle dût être mise en pièces.
A cette vue mon sang se glaça, mon front et mes yeux s'enveloppèrent d'horreur. Je dis à l'ange:
- Dis-moi contre qui se soulève cette tempête de sang.
- Bientôt tu le sauras, répondit-il.Tandis qu'il parlait, la mer se souleva de nouveau avec les mêmes mugissements ; mais, cette fois, comme une armée s'avance en ordre pour un bataille décidée, toutes les vagues se pressèrent du côté où nous étions, et s'avançant d'un pas vers moi, retombèrent sur elles-mêmes avec une clameur de vengeance,
Et de nouveau se levèrent d'un seul jet, et je les vis cette fois de si près, que le ciel tout entier était couvert jusqu'aux étoiles par cette tempête de sang.
Je m'écriai, fou de terreur : C'est moi que la tempête poursuit !L'ange me répliqua : Tu l'as dit, car tu as trop profané le sang de Jésus et tu l'as indigné par tes péchés innombrables. Tu as laissé passer l'instant de grâce et tu as persévéré dans tes voies perverses.
Tu as ri de l'amour, et tu as fait pénétrer l'outrage dans le coeur de Dieu. C'est pourquoi son sang se répand et se soulève contre toi.
Il parlait et je l'entendais à peine, le bruit de la mer étouffant la voix de l'ange. Et maintenant la tempête allait m'enlever comme une paille, car les flots s'élevaient de cent coudées au-dessus de ma tête. Je lui criai de toutes mes forces : Sauve-moi !
Il répondit : Il n'est pas en mon pouvoir de te sauver.
- Dis-moi au moins, criai-je encore, par où je dois fuir !
- Il dit : Il n'est pas en ton pouvoir de fuir. Car la colère t'a rejoint, et de quelque côté que tu veuilles lui échapper, elle t'engloutira.Dans ce suprême moment je recueillis en moi mon âme, et l'ange avait raison : à la lueur des éclairs de sang, je voyais mon âme dans sa vérité, toute marquée encore du sang qui l'avait sanctifiée, et de nouveau le péché la souillait et la profanait ; c'était donc justement que l'amour insulté me poursuivait pour me détruire.
Alors je criai à l'ange une dernière fois : Que ferai-je ? Dis-moi au moins ce mot !L'ange ne répondit plus rien ; mais il étendit ses deux bras ; et d'un côté il me montrait la terre, où il était inutile de fuir, et de l'autre l'océan dressé au-dessus de moi jusqu'au ciel comme une montagne croulante.
A son geste je compris que j'avais à choisir : et du côté de la fuite était le désespoir, où la vengeance me rejoignait ; mais de l'autre côté, il m'était offert de retourner à la rencontre effrayante du sang, de le devancer et de m'abîmer en lui avant qu'il ne m'eût frappé de sa colère.Je ne sais si de mon propre mouvement je me décidai ou si l'ange me poussa, mais d'un geste prompt je fus jeté au-devant de la tempête d'amour. Je fermai les yeux et en un instant j'entrai corps et âme, je me submergeai entièrement et m'abîmai dans le sang de Jésus.
Et sans doute Dieu fut glorifié de ma confiance, car ce qui se produisit en cet instant, je ne le sais nullement et ne pourrais l'exprimer. Mais aussitôt que je me fus plongé comme un homme perdu au sein de la tempête, la tempête cessa et se tut et il se fit un calme. La surface de la mer était comme un miroir où se reflétaient l'azur et les flocons de nuages.
Et la mer se soulevant autour de moi en replis moelleux me berçait comme l'enfant au berceau, et faisait entendre une chanson.Et elle disait : Enfant, tu es revenu à l'Amour et il n'est plus en colère.
Reviens à l'Amour, fils du péché, et tu seras encore aimé.