L' ÉVANGILE DU PÉCHEUR

III - LIVRE DES APPELS

5 - Appel du Pécheur


Tous les appels qui ont été rapportés dans ce livre, le Pécheur les avait entendus avec leurs réponses. Il avait vu certains disciples suivre Jésus avec promptitude et fidélité, les autres désobéir et suivre plutôt que Jésus les passions et les caprices de leur âme. Il voyait que tous ceux qui n'ont pas répondu à Jésus sont morts.
Il réfléchissait et se disait à part lui : Mais moi, que ferai-je si le Seigneur m'appelle comme eux ? Saurai-je bien tout quitter et vivre comme Simon l'obéissant ?

(Car Jésus, depuis sa première rencontre dans la Vallée des larmes connaissait le Pécheur et le traitait en ami. Toutefois, il ne lui avait fait entendre aucun appel. De temps à autre seulement, par des questions et des énigmes, il entretenait sa curiosité. De sorte que, le temps durant, le Pécheur s'était flatté de se ceindre lui-même, et de recevoir Jésus comme maître sans cependant être astreint.)
Or voici qu'un matin quelques disciples le rencontrèrent à la dérobée dans une rue de Jérusalem et lui dirent :
- Le Maître t'a cherché et t'a demandé auprès de lui. Et maintenant il est descendu au désert pour prier ; mais à son retour, sache qu'il renouvellera sa demande, afin que désormais tu le suives. Sa volonté ne nous a pas échappé.

A ces mots le Pécheur fut consterné et sa langue se lia. Comment dire ce que ressentit le Pécheur ? Mille mouvements, mille désirs se dégageaient de son âme, ensemble comme un brouillard de pluie. Il n'était plus tel qu'en d'autres temps, lorsqu'il envisageait avec un sens droit les vocations du Seigneur. Etait-ce bien ce même Pécheur qui applaudissait à la fidélité de Pierre, et bénissait le Seigneur d'avoir transformé en créature de foi la compagne charnelle de Simon ? Avait-il, oui ou non, maudit mille fois les avares de ce monde, les gens de plaisir, les solitaires orgueilleux et les sophistes qui rejettent leur salut ? A vrai dire, le Pécheur, même à ce moment, eût détesté de se réunir aux hommes de cette sorte.
Mais ce n'est plus d'eux qu'il s'agit, songeait-il avec effroi, et peu à peu, comme l'eau remplit la jarre, une seule idée le remplissait ; se sauver lui-même ! fuir Jésus, tout quitter plutôt que de se perdre lui-même pour Jésus !
Ainsi pensait le Pécheur, d'une pensée à laquelle il s'attachait comme étant son courage. Ensuite pour répondre aux reproches de son coeur, il se disait : Certes, jamais je n'oublierai Jésus et je le servirai de mon mieux.
Il se dit encore : Et comment le servirai-je mieux qu'en lui réservant, pour de grandes actions, ma liberté toute vive ?

- Or en se parlant ainsi, le Pécheur voyait Engaddi devant les yeux de son âme, Engaddi où broutent les chèvres pendues aux falaises ; Que de fois il avait désiré ces verdures inaccessibles que défendent d'un côté les eaux mortes, de l'autre le désert stérile de Judas ! aujourd'hui c'est Engaddi qui m'appelle et ne souffre plus l'attente.
- Je viens, et tu seras mon refuge, ô Engaddi ! s'écria-t-il.
Le moment est propice. Le pécheur sait que la coutume du Maître est de se retirer dans une direction toute contraire au delà du Jourdain. C'est pourquoi il ne perd pas une minute. Il se sauve. Et ce même matin, que tous l'avaient vu présent dans la ville, il avait pris un cheval, le meilleur marcheur de Jérusalem, et déjà ayant traversé Bethléem, il s'enfonçait dans le désert sans que personne fût averti de sa fuite.

Il alla ; il chevaucha en hâte extrême tout le jour, sous une chaleur accablante, comme ne la sentant pas. Souvent il se retournait sur la selle pour observer au loin si quelqu'un le poursuivait : il ne voyait rien. Il ne mangea ni ne but de tout ce jour là et ne s'arrêta nulle part pour donner au cheval sa nourriture. Mais lorsque le cheval demandait à souffler il le brutalisait et lui enfonçait les talons au ventre. Il voulait arriver à Engaddi avant la nuit.
Enfin il voit le jour s'avancer ; la chaleur décline. Mais la fièvre lui brûle le front. Il sent que malgré sa hâte il n'arrive pas à se tirer de ce désert. Sans doute il s'égare ; où va-t-il ? - Et maintenant son cheval poussé à bout tremble de fatigue. Le Pécheur guettait le lointain, encore. Mais dans son âme, à bout d'espoir, il priait Dieu; avec trouble il invoquait ce Jésus redouté. Il voyait le jour disparaître. Et comme, dans un suprême effort, il amenait sa monture à une crête nouvelle d'où s'étendait un vaste plateau, le soleil se coucha, et le ciel aussitôt sembla s'éteindre. En même temps le cheval butta contre une pierre et roula d'épuisement.
- Cette fois, c'est la mort, dit le Pécheur. Et il se leva du moins sur ses pieds, prêt à faire face au désarroi.

Et c'est alors qu'il connut la miséricorde.

Subitement, la figure du pays avait changé. Dans la lumière égale du soir, des formes se mouvaient sur ce plateau : c'étaient des bergers cheminant de côté et d'autre, quelques-uns poussant les brebis vers leurs enclos, dont on voyait par endroits les longues murailles basses. D'autres se tenaient assis, immobiles, méditant.
- Enfant, cria t-il au premier d'entre eux, la mer est près d'ici ?
- Oui, dit l'autre qui se levait pour partir à cause de la nuit. Et il se tut.
- Où vas-tu ? insista le Pécheur. Laisse-moi te suivre et tu me montreras le chemin. - Ce disant, il s'efforçait de le joindre.
- Suis-moi, dit le pasteur.
Et ayant dit "suis-moi" il se retourna tout en marchant, et dans l'ombre de son manteau il regarda le Pécheur avec une lueur de tendresse, et il tendit la main au Pécheur fatigué et le soutint dans ses bras; Et c'était Jésus ! Jésus s'était rendu la veille dans ce désert où il n'avait pas accoutumé de venir, afin d'y recevoir la fuite du Pécheur !

- Et alors Jésus nomma le Pécheur par son nom et l'appela, mais tout en le tenant dans ses bras.

Par là vous voyez avec quelle douceur le Pécheur fut conduit à son salut, tandis qu'il se sauvait de Jésus ; comme une brebis qui s'échappe de l'enclos, et le berger la devance en faisant un détour afin de la recevoir par surprise.
Et comment s'accomplit dans le Pécheur plus qu'en tout autre la parole du Seigneur à ses fidèles amis : " Ce n'est pas vous qui m'avez choisi, c'est moi qui vous ai choisis. Et je vous ai établis pour que vous alliez et portiez du fruit, et que votre fruit demeure. "

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