L' ÉVANGILE DU PÉCHEUR

VI - LIVRE DU SALUT

1 - Le pauvre Pécheur


Le Seigneur. - C'est maintenant l'heure des ténèbres. Mon âme est triste jusqu'à la mort. Veillez et priez une heure avec moi.

Le Pécheur. - Maintenant, je ne le veux pas. Veiller et prier ! Vous me présenteriez votre calice ! je ne veux plus le boire !
Vous m'appelleriez à votre croix ; je ne veux plus y monter. Vous m'ordonneriez de mourir ; je ne veux pas mourir.
Je veux vivre, et ne pas boire le calice. Je vous accorde les biens du monde, cela n'est rien. Le plaisir, prenez, je sais ce qu'il vaut, on peut le donner.
Un nom, mon honneur dans la bouche d'autrui, cela est plus dur ! S'il le faut, prenez encore !
Après tout, que m'importe ce qu'il pensent de moi. Tous réunis, toute la grandeur qu'ils me prêtent me fera-t-elle une coudée ?
Mais ceci, mais mourir, je ne le veux pas. Otez ce calice, je ne le boirai pas. Non, jamais je ne boirai. Otez, vous dis-je !

Le Seigneur. - Si tu ne le bois, tu n'auras pas de part avec moi.

Le Pécheur. - Je voudrais avoir une part avec vous.

Le Seigneur. - Bois mon calice.

Le Pécheur. - Non, je l'ai dit, je ne le boirai pas, et je déteste trop de mourir.

Le Malin.- Il ne faut pas que tu meures.

Le Pécheur. - Je t'entends ; non, certes, il ne le faut pas.

Le Seigneur. - C'est le Père qui le veut.

Le Pécheur. - Et moi, je ne le veux pas.

Le Malin. - Si tu fais ce que tu veux tu ne mourras pas, et tu seras comme un dieu sachant le bien et le mal.

Le Pécheur. - Vous le voyez bien ! Je ne mourrai pas et je vivrai !

Marie. - Mon petit enfant, le Malin te trompe. Songe que même si tu ne le veux pas tu mourras. Obéis donc.

Le Pécheur. - Je mourrai du moins sans l'avoir voulu !

Marie. - Mon petit enfant, tu parles comme ceux qui n'ont pas de foi. Toi qui sais tant de choses, as-tu déjà tout oublié ?

Le Pécheur. - Je n'ai pas oublié et je ne me rappelle que trop ! A quoi bon me souvenir pour mon malheur ? Il faut que j'oublie. (Il détourne la tête.)

Marie. - Mon pauvre Pécheur, tu souffres maintenant.

Le Pécheur. - Je sais que je suis mauvais.

Marie. - Prie donc pour ne pas entrer en tentation, car voici l'heure. Prie avec Jésus et tu seras exaucé.

Le Pécheur. - Je ne prierai pas. Car si je priais je serais exaucé et alors je ferais ce que je ne veux pas.

Marie. - Du moins, prie-moi. As-tu entendu dire que l'on ait été abandonné après avoir eu recours à moi? Personne ne l'a jamais dit, je m'en souviens. Prie-moi donc, ô mon enfant, et je t'assisterai dans l'agonie.

Le Pécheur. - Je ne vous prie pas.

Marie. - Seigneur, que ferai-je donc avec celui-là qui refuse de prier. Il me désespère.

Le Seigneur. - Ma mère, laissez. S'il refuse ma grâce de vos mains, rien n'y fera. Nous l'abandonnerons.

Marie. - Abandonner cet enfant, hélas ! encore ! le faut-il ? j'en ai tant perdus !

Le Seigneur. - Il en est tant pour vous consoler, et moi je suis toujours avec vous.

Marie. - Mon fils, vous êtes toute ma joie.

Le Seigneur. - Je vous salue, Marie, pleine de grâce,

Les Frères du Pécheur. - Le Seigneur est avec vous.

Marie. - (Elle écoute) Qui me presse ? D'où vient cette voix ?

Le Pécheur. - J'ai des frères et des soeurs qui sont les frères de Jésus.

Marie. - Ne prieront-ils pas pour toi, et tu prieras avec eux ?

Le Pécheur. - Tous les jours ils prient pour moi, le matin et le soir. Et moi je suis mauvais.

Marie. - Peu m'importe que tu sois mauvais. Et moi, ne prierai-je pas avec eux pour toi ?

Les Frères du Pécheur. - Sainte Marie, mère de Dieu, priez pour lui pauvre Pécheur, maintenant.

Marie. - Maintenant, ils me le demandent. Je prierai pour toi, maintenant ! (Elle prie)

Les Frères du Pécheur. - Maintenant, et à l'heure de sa mort.

Marie. - Maintenant, cette heure est venue. (Elle prie encore.)

Le Seigneur. Ma mère, je ferai tout ce que vous me direz.

Marie. - Mon petit enfant, tu n'es pas seul et nous prions pour toi qui ne pries pas. Tu manquais de foi ; voici la nôtre.

Le Pécheur. - Le Malin ne me parle plus et voici que j'entends votre voix.

Marie. - Regarde Jésus, ton frère, mon premier né. A lui aussi son heure est venue, et c'est la tienne. Ne veux-tu pas prendre ta part ?

Le Pécheur. - Secourez-moi ! Je veux une part avec lui.

Marie. - Prends-la, maintenant.

Le Pécheur. - Je ne le puis, à cause de ma volonté. Mais vous, faites-moi vouloir malgré ma volonté.

Marie. - Viens donc à moi, pauvre Pécheur, je suis ta mère.(Le Pécheur s'approche de Marie. Elle le fait mettre à genoux.)

Marie. - Donne-moi tes mains. (Le Pécheur donne ses mains. Elle les joint.)

Marie. - C'est ainsi que je faisais à ton frère aîné. Regarde-le et fais comme lui.
(Le Pécheur regarde Jésus. Il le voit entré en agonie, et priant. Alors aussi il se met à craindre et à trembler, mais à genoux et les mains jointes.)

Marie. - Ecoute ce qu'il dit.

Jésus. - Mon Père, mon Père, s'il est possible, que ce calice s'éloigne de moi.

Marie. - Achève, Pécheur, maintenant, dis ce que tu veux.

Le Pécheur. - Toutefois, que votre volonté soit faite et non pas la mienne.

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