L' ÉVANGILE DU PÉCHEUR

VI - LIVRE DU SALUT

6 - La fin de la nuit


Ceci est l'histoire de ce qui arriva au Pécheur lorsqu'il sortit et vint au sépulcre, le premier à la fin de la nuit. Comme il sortait de la ville, la nuit était encore complète autour des remparts ; seulement le ciel blanchissait un peu sur la montagne des Oliviers.

Le Pécheur montait en hâte au tombeau de Jésus, se disant : Puisque moi aussi je dois mourir, il faut que j'aille à son tombeau avant que mon heure ne sonne. Et lui ne portait ni parfums ni bandelettes, mais seulement le poids de ses péchés à déposer sur la tombe de Jésus, et le vase de son coeur contrit à briser contre la pierre et il se disait : il est mort à cause de moi !

C'est qu'il avait vu le rocher s'ouvrir à la mort de Jésus. Le rocher s'était ouvert de crainte et une soudaine contrition l'avait brisé. Et, à la fin, le coeur du Pécheur lui-même s'était ému, lui qui est plus dur que le rocher.

Le coeur du Pécheur jusque-là vivant et vermeil, enfin était saisi de crainte et les ténèbres l'enveloppaient, depuis la mort de Jésus. Le Pécheur gravit la pente. Au sommet du Calvaire la croix était solitaire dans la nuit, debout sur le rocher entr'ouvert. Le Pécheur la vit et se dit : Et moi, comment pourrais-je vivre ? Et de nouveau, il pressa sa marche, de peur de ne pas arriver au sépulcre, mais de mourir en route avant la fin de la nuit.

Or, comme il redescendait du Calvaire, il lui sembla voir de loin sortir du sépulcre une forme sombre qui grandissait et se rapprochait de lui. Il crut à une des saintes femmes qui l'aurait devancé auprès de Jésus et déjà en reviendrait, et il en ressentit de la surprise. Mais lorsque cette ombre se fut avancée tout contre, elle s'arrêta droite : c'était une femme voilée de noir ; mais assurément, ni Marie, mère de Jésus, ni aucune de celles qui marchaient à la suite de Jésus.

Il la salua le premier : Qui es-tu, dit-il, toi qui reviens du tombeau de si bonne heure ?
Celle-ci souleva son voile sans répondre un seul mot, et alors il reconnut sa fiancée, la Mort. Il se dit:
- Cette nuit l'heure a sonné où elle me possédera ! Mais la Mort ayant reconnu le Pécheur, demeurait droite devant lui, stupide et hagarde. Et le Pécheur, de son côté, était interdit de cet accueil, ne sachant s'il s'en réjouirait.
Enfin : " Ô Mort, où est ta victoire ?" dit-il.
La Mort ne disait rien ; mais comme elle s'efforçait de faire un pas vers lui, le Pécheur vit sa maîtresse chargée de chaînes à ses bras et à son cou, et elle se prosterna aux pieds du Pécheur comme une esclave.

Il la considérait avec étonnement. Et il sait que la Mort tient à la main un aiguillon semblable à celui des bouviers. De cet aiguillon elle stimule et flagelle les hommes sans pitié, et elle les fait travailler à ses semailles. Cette fois donc le Pécheur avait craint : mais en regardant, il vit la tige de l'aiguillon brisée entre les doigts de la Mort.
Alors, reprenant confiance :" Mort, dit-il, où est ton aiguillon ?"
Celle-ci, muette, écarta son voile par devant et découvrit sa poitrine décharnée. Et, stupéfait, il vit la pointe de l'aiguillon brisé, là, enfoncée vibrante, dans la poitrine de la Mort.

Alors son coeur tressaillit d'espoir. Mais il se rappela la promesse, le triste contrat par lequel il était lui-même donné à la Mort sans espoir de retour, et que la Mort tenait entre ses mains pour en faire valoir le droit, au jour de ses noces.
Il lui demanda résolument : "Ô Mort, où est ton droit ? Rends-moi l'acte de donation que tu tiens."
Elle entrouvrit ses mains osseuses, faisant signe par là qu'elle ne possédait rien ; et, relevant le menton, elle indiquait la croix.
Et le Pécheur vit l'acte de la Mort lacéré, ses lambeaux fichés sur la croix avec les clous qui avaient crucifié le corps de Jésus,
Selon la parole de l'Ecriture : " Il a détruit l'acte écrit contre nous; il l'a cloué à la croix; il en a dépouillé les Puissances. " Alors la Mort se retira de lui, blême de crainte, et elle s'éloigna dans la nuit.

Le Pécheur reprit donc sa marche vers le sépulcre, alors que déjà la pierre blanche commençait à se revêtir d'aurore. Il se disait : Qui sait ce que je verrai après cette rencontre ? et qui trouverai-je au sépulcre, si la Mort n'y est plus ? Il approcha, et voici, il vit d'abord les gardes renversés à terre comme foudroyés ; il vit la pierre arrachée dans l'herbe. Il pénétra. L'intérieur était comme une salle de festin ornée et pleine de lumière.

Deux anges vêtus de blanc se tenaient assis à la tête et au pied du lit où l'on avait étendu Jésus ; mais Jésus n'y était pas. Et ces anges empressés et joyeux, avaient enroulé soigneusement les bandelettes et le suaire. Ensuite, s'étant assis, ils attendaient là comme si quelqu'un devait venir.
Et le Pécheur enhardi interrogeait les anges :
- Dites-moi qui vous attendez, leur disait-il, et ce que vous préparez ici dans cette salle, auprès du lit où reposait le corps de Jésus.

Les anges répondirent :
- C'est toi que nous attendions pour les noces de la Vie, et nous t'avons préparé la couche. Alors se leva le jour de Pâques, le jour nuptial de l'allégresse et du repos. La nuit était finie. Les saintes femmes montaient ensemble avec leurs vases de parfums comme celles qui vont chercher l'eau ; les disciples, en groupes séparés, sortaient de la ville encore enveloppée de brume. Et tous ils apparaissaient au soleil, montant à la fontaine de joie.

Accueil

Sommaire

Chapitre précédent